Plagiats: pourquoi Gilles Bernheim, le grand rabbin de France, ne doit pas démissionner
Par Samuel Grzybowski
Président de Coexister
LE PLUS. Gilles Bernheim traverse une période difficile. Après avoir admis un plagiat dans son ouvrage "Quarante méditations juives", le grand rabbin de France a reconnu à la radio ne pas être titulaire de l'agrégation de philosophie. Au centre d'une polémique solide, d'aucuns appellent à sa démission. Pour Samuel Grzybowski, qui a déjà rencontré Gilles Bernheim, ce serait absurde.
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Gilles Bernheim, le grand rabbin de France, à Toulouse, le 17 mars 2013 (F.LANCELOT/SIPA).[/SIZE]
Hier soir sur Radio Shalom, le Grand Rabbin de France a de nouveau reconnu les accusations de plagiat à son encontre. Il a profité de l’occasion pour s’expliquer au sujet de l’agrégation de philosophie qu’il n’a en fait jamais obtenu."Le fait non pas de proclamer partout, mais de laisser dire qu’on est agrégé permet de mettre un pansement sur une blessure qui est très forte et de vivre longtemps après".Cet événement intervient peu de temps après les révélations de l’affaire Cahuzac et porterait certains à une remise en question générale des autorités politiques et morales de notre pays.
Le sens de la repentance En reconnaissant les faits et en demandant humblement pardon, Gilles Bernheim se livre à un exercice de modestie dont peu de puissants ont déjà fait l’expérience. Comme si l’année où le Pape Benoît XVI renonçait à son pontificat était celle où nous devions prendre conscience que ceux qui nous représentent, nous guident et nous gouvernent sont aussi des hommes avec leurs fragilités et leurs défauts.Demander pardon et accorder le pardon est une attitude qui n’est pas très à la mode mais qui mériterait pourtant de retrouver toute sa place dans les relations humaines. Pardonner ne signifie pas oublier ou effacer, mais reconnaître des faits et proposer d’aller au delà.En demandant publiquement pardon, le Grand Rabbin n’attend pas que l’on oublie ses erreurs. Il accepte d’en porter sur ses épaules toute la responsabilité, et nous demande de bien vouloir prendre acte de ces faits pour mieux les dépasser. Il souhaite en tirer des leçons personnelles, comme il le disait hier à l’antenne, mais c’est aussi à chacun de nous de prendre exemple sur un tel acte de courage.Les cas de plagiats avérés ne remettent nullement en cause ses capacités intellectuelles et ses compétences rabbiniques. La formulation d’une phrase n’est pas suffisante pour révéler la force d’un esprit. C’est l’enchaînement des idées et la solidité de l’argumentation qui font la grandeur spirituelle d’un homme.Il en va de même pour son agrégation. Si la société a besoin de label pour évaluer un penseur, il nous faut nous poser des questions sur notre liberté de définition de ce qui est intelligent et de ce qui ne l’est pas. Ceux, dont je fais certes partie, qui ont vanté depuis des années la puissance de son discours et la profondeur de ses idées ont-ils consulté son titre universitaire avant de le penser ?
Un faux désastre Certains crient au scandale, exigent sa démission et soulignent le "désastre" de la communauté juive aujourd’hui. On trouve évidemment parmi ces détracteurs des personnes qui n’ont jamais brillé par leur philosémitisme, mais on trouve aussi des gens de sa propre communauté.Du haut de mes 20 ans et de mes cinq années d’engagement associatif en étroite collaboration avec différentes instances de la communauté juive, je ne partage pas ce sentiment de désastre. La France peut être fière d’une communauté qui a su garder ses racines tout en embrassant le tout de la citoyenneté française jusque dans ses moindres détails.S’il fallait éventuellement chercher un motif d’inquiétude, j’aurais davantage tendance à m’inquiéter des relations entre les communautés juive et musulmane. Le choix de certains interlocuteurs musulmans au dépend des autres, la méfiance vis à vis du terme d'"islamophobie", l’amalgame entre les musulmans et l’antisémitisme, me semblent être des maux que mes camarades juifs et moi même constatons avec scepticisme depuis longtemps déjà.
Un rabbin interreligieux Ces maux, pourtant, le Grand Rabbin de France en a pris conscience bien avant les autres, et il fut le premier à se lever contre toutes les tentations communautaristes qui auraient pu gagner la communauté juive.Déjà en 2008, il rédigeait un livre à deux mains (sans jeux de mots) avec le Cardinal Barbarin : "Le rabbin et le cardinal". En 2009, il apportait sa contribution à la revue de la Fraternité d’Abraham. En septembre 2012, il soutenait les autorités musulmanes dans leur lutte interne contre le terrorisme et la violence en France. Dans un communiqué, il appelait "chacun, qu’il soit croyant ou non, à se mobiliser pour faire reculer l’ignorance, la bêtise, la haine et la barbarie."Lorsqu’il nous a reçu avec une délégation de Coexister en février 2012, il nous a adressé son soutien en témoignant de son intérêt pour notre travail. "C’est à nous de comprendre votre mouvement. C’est à vous d’entendre notre expérience". Par ces mots, brefs mais complets, il répondait sans discours à notre demande. Cela faisait une heure que nous parlions et il a passé plus de temps à nous écouter qu’à nous "sermonner".Je connaissais déjà l’homme depuis février 2011 puisque nous étions tous les deux participants au sommet international entre le Saint Siège et le Comité Juif International (IJCIC). Autant dire que l’interreligieux ne semble pas représenter pour lui un faire valoir politique, mais bien davantage une conviction profonde.Le Grand Rabbin de France a raison de ne pas démissionner et je serais tenté de saluer sa position sur la question :"Démissionner serait une forme de désertion et serait contraire à la collégialité qui préside à la décision".Comme le dit à juste titre Yves Kamami, "les attaques qu'il subit sont lâches et démesurées par rapport à ce qu'on lui reproche". La France a besoin de responsables comme Gilles Bernheim qui savent mettre leur solidité non pas au profit de leur égo mais au profit de l’intérêt général. Après les aveux et les regrets, vient le temps de la décence vis à vis d’un homme qui n’a fait de mal à personne. En revanche un certain acharnement contre lui pourrait créer de la violence et des drames inutiles. Après une chute, on ne piétine pas un homme à terre".
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